« On n’a jamais fini de découvrir le français ! »
A consommer sans modération ! Muriel Gilbert, correctrice au journal Le Monde, dévoile le quotidien de son métier avec humour dans son ouvrage Au bonheur des fautes. Elle tient également la chronique « Un bonbon sur la langue » sur RTL. Après avoir publié Un bonbon sur la langue et Encore plus de bonbons sur la langue, elle continue de partager avec en enthousiasme contagieux son amour des délices du français.

Le goût des mots est une collection dirigée par Philippe Delerm qui écrit, sur la première page de ce livre : « Les mots nous intimident. Ils sont là, mais semblent dépasser nos pensées, nos émotions, nos sensations. Souvent, nous disons : je ne trouve pas les mots ». Pourtant, les mots ne seraient rien sans nous. Ils sont déçus de rencontrer notre respect quand ils voudraient notre amitié. Pour les apprivoiser, il faut les soupeser, les regarder, apprendre leurs histoires, et puis jouer avec eux, sourire avec eux. Les approcher pour mieux les savourer, les saluer, et toujours un peu en retrait se dire je l’ai sur le bout de la langue – le goût du mot qui ne me manque déjà plus. »
En recevant ce livre, mon Amie Gene a tout naturellement pensé à moi 😆 Après avoir lu ce texte, je ne vois plus les voyelles et les consonnes de la même façon.
« Pourquoi dit-on A-B-C-D et non pas D-C-B-A ?
Voyageons jusqu’aux racines de notre écriture. C’est Séverine (pas l’Aminaute Strasbourgeoise) qui m’en a suggéré l’idée. Elle apprend à la petite Maelys, âgée de 4 ans, à écrire son prénom. Et Maelys voudrait savoir « pourquoi le « m » vient avant le « n », alors qu’il a plus de ponts ».
Voilà une excellente question que je ne m’étais jamais posée ! J’ai donc enquêté. Pour trouver l’origine de notre alphabet, il faut remonter plus de trois mille ans en arrière. Le mot alphabet lui-même, on le devine, vient des deux premières lettres de l’alphabet grec : alpha et bêta. Notre alphabet actuel est issu de l’alphabet latin, bien sûr, mais l’alphabet latin est lui-même inspiré de l’alphabet grec… qui descend de l’alphabet phénicien (donc de la région du Liban actuel) qui lui-même s’enracine dans une écriture sémitique encore plus ancienne.
Alors, les lettres de tous ces alphabets étaient-elles classées dans le même ordre ? Pas tout à fait, mais presque.
L’alphabet phénicien commençait par la lettre aleph qui désignait le boeuf (et qui a donné l’alpha grec et notre a). C’était une sorte de a majuscule posé de côté, ce qui rappelle assez la tête d’une bête à cornes. La deuxième lettre était beth (qui a donné bêta en grec et notre b) qui désignait la maison. L’alphabet phénicien était classé en fonction de la signification des lettres, ce qui permettait de le mémoriser plus facilement, en se racontant une petite histoire commençant, j’imagine, par un boeuf (aleph) broutant à côté d’une maison (beth). Les Grecs se sont inspirés de cet alphabet, qu’ils ont adopté, notamment en lui ajoutant des voyelles, puis les Romains l’on encore modifié. Le dzêta grec, notamment (qui a donné notre z), étaie en sixième position. Le latin a d’abord décidé qu’il n’en avait pas besoin, et puis finalement il l’a réintégré… mais à la fin de son alphabet. Sachez-le donc : si tore nom commence par un z, c’est à cause des Romains si c’est toujours vous que l’on appelle en dernier.
Quant à m et n, qui intéressent Maelys, leurs ancêtres (mem et nun) se suivaient déjà dans l’alphabet phénicien. Ces lettres, qui désignaient l’eau et le serpent, ne ressemblent pas tellement à nos lettres modernes. Elles s’apparentent à une sorte de lettre µ grec (mu), et en revanche elles se ressemblent entre elles, un bâton et une petite vague, la vague du m était déjà un peu plus longue que cette de la lettre qui allait donner le n. On peut se dire que la vaguelette qui représente l’eau a un petit pont de plus que celle qui désigne le serpent. Et cela pourrait bien expliquer pourquoi notre m a davantage de ponts que notre n. On peut se dire que la vaguelette qui représente l’eau a un petit pont de plus que celle qui désigne le serpent. Et cela pourrait bien expliquer pourquoi notre m a davantage de ponts que notre n.
Evidemment, les ponts, c’est pour les lettres minuscules. Nos lettres capitales ont une forme très différente. A l’époque des Romains, on n’utilisait que les capitales, d’ailleurs. Pourquoi ? Parce qu’on écrivait sur des matériaux durs, de la pierre ou du bois. On gravait, en fait. Difficile de graver des courges. Avec l’arrivée de supports comme le papyrus, le vélin puis le papier, on a pu avoir une écriture plus souple, et adopter les lettres minuscules, avec des pleins, des déliés… et quantité de jolis petits ponts. »