Pourquoi est-il rentré dans l’Histoire ?

SILHOUETTE (Etienne de) Comment le nom d’un homme banni de l’Histoire est-il passé à la postérité ?

Une forme furtive éphémère, impossible à identifier, à peine peut-on en définir les contours. Juste une « silhouette ». Ce nom commun, à vrai dire, n’existe que depuis la fin du 18e siècle, dû à la méchanceté de certains hommes qui souhaitaient se venger de Etienne de Silhouette. Voici son histoire.
Etienne de Silhouette est né en 1709 (encore un conscrit !) dans une famille aristocratique de Limoges, originaire d’Espagne. Après de brillantes études chez les pères jésuites, et comme bon nom de jeunes gens de bonne famille à cette époque, il entame son grand tour d’Europe afin de parfaire sa culture, ses relations -on dirait aujourd’hui son « réseau »- et son sens de l’observation. C’est ainsi qu’il devient diplomate en Angleterre et… espion !
De retour en France, il fréquente les salons et la cour où il rayonne grâce à son intelligence. Il s’attire ainsi les faveurs de la Marquise de Pompadour, favorite de Louis XV, qui le soutient pour le poste de chancelier de la Maison d’Orléans. Il devient alors, en mars 1759, contrôleur général des finances -un ministre des Finances avant l’heure- et c’est là que son histoire bascule…
Inventeur du concept de « révolution d’en haut », Silhouette souhaite soulager le peuple des impôts. Mais, suite à la guerre de Sept Ans qui opposa entre autres la France et l’archiduché d’Autriche aux royaumes de Grande-Bretagne et de Prusse, le pays est exsangue. Si rien n’est fait, c’est la banqueroute assurée. Silhouette entend alors mettre un terme aux privilèges de la noblesse et réquisitionner la majeure partie des bénéfices de la finance, tout en allégeant ou en supprimant les impôts des plus pauvres. Et il voit juste ! En seulement 3 semaines, les caisses du royaume sont renflouées à hauteur de 72 millions de livres, soit près d’1/4 du déficit de l’époque ! Voltaire applaudit ; le peuple de France compose des vers, de la prose et des chansons à la gloire du « bon père Silhouette ».
Mais tout cela n’est pas du goût des aristocrates et des financiers… Ces derniers lancent une véritable cabale à l’encontre du ministre. Etienne de Silhouette se retrouve la cible de railleries, et son nom, associé par l’élite à des mesures considérées comme tyranniques, mal construites et incomplètes, se transforme en un mot injurieux, synonyme de flou, d’approximation, de maladresse. C’est également ainsi qu’on se met à nommer un jeu répandu à la cour (et donc Silhouette lui-même est friand) consistant à découper des profils dans du papier noir.
Ainsi coalisées, l’aristocratie et les financiers décident d’aller plus loin. Ils réclament au roi non seulement de chasser ce ministre du pouvoir, mais que des mesures soient prises pour l’effacer de l’Histoire de France.
Déchu, Silhouette se retire dans son château de Bry-sur-Marne jusqu’à sa mort en janvier 1767. Privé de couleurs, de visage, d’épaisseur et de postérité, l’ancien ministre se métamorphose lui-même en une… silhouette.